1 - Autodéfense réactive
Nous mentons par peur d'être confondus, d'être pris en flagrant délit de faute, de transgression. Il y a souvent une honte qui nous pousse à mentir de manière purement réactionnelle et automatique par instinct de survie, de protection de notre image, de notre intégrité sociale ou de notre honneur, pour les personnes particulièrement fières. Les enfants le font très fréquemment lorsqu'ils savent qu'ils ont enfreint une règle des adultes, que ce soit à l'école ou en famille
2 - Avidité
Que nous soyons mus par la crainte d'une menace ou au contraire par un désir positif, le désir est un puissant déclencheur de mensonge. Dans les deux cas il est aussi efficace que la force mais moins coûteux, à court terme. Nous mentons pour obtenir ce que nous désirons parce que nous rentrons en concurrence avec le désir d'autrui, et mentir constitue un moyen assez commode de nous débarrasser de ces gêneurs qui nous barrent la route. Ainsi l'avidité occulte notre éventuel souci pour la vérité et nous pousse à mentir sans vergogne, certains que "la fin justifie les moyens". Nous mentons en transformant la perception qu’autrui peut avoir en manipulant les mots.
3 - Insatisfaction existentielle (perfectionnisme)
Il se trouve parmi nous de nombreux insatisfaits chroniques. De manière probablement semi-consciente, ils sont en quête d'absolu, de perfection, de totalité, de complétude. Mais évidemment, la réalité ne se prive pas de les décevoir, car elle n'a rien à faire de leurs désirs. Cette insatisfaction chronique, cet inconfort psychologique constant est si pénible qu'il est commode de se construire une réalité alternative sur soi-même, plus valorisante pour soi et les autres. Donc le mensonge sur soi, la construction de la « belle histoire de soi », le self story telling agit comme manière de compenser ce vide, cette incomplétude qu'ils ressentent inhérente à leur existence même.
4 - Politesse
Nous apprenons les bonnes manières, la politesse, les convenances : il s'agit ici de ne pas dire tout ce qui nous passe par la tête. Une bonne raison à cela est d'abord que nous pensons périodiquement des choses stupides et fausses donc il est légitime socialement de pratiquer un certain contrôle de sa parole.
Cependant, même si notre parole est vraie, elle peut périodiquement heurter, choquer, offusquer les personnes qui nous entourent, ce qui remettrait durablement en cause le pacte social. Cette forme de mensonge est dans une large mesure acceptable et acceptée par tous. Le problème se pose néanmoins lorsque ces conventions sociales, ce pacte de non-agression, est tellement intériorisé qu'il prend le pas sur toute forme de vérité dès qu’elle est susceptible de heurter et nous empêche de dire le vrai alors qu'il serait souhaitable et bénéfique au plus grand nombre.
5 - Diplomatie
La diplomatie est l'art subtil de gérer les relations humaines en prenant soin de ne froisser aucune susceptibilité, ce qui implique un travail soigneux sur le langage verbal et corporel, si possible en le dépouillant de tout son côté abrupt et critique. Cela implique la reconnaissance du statut de l'autre, de sa respectabilité et de son pouvoir. On ne parle pas à son chef, son professeur, son médecin ou même ses parents (dans l'ancien temps) comme on parle à son copain. La diplomatie doit prendre en compte les intérêts et la puissance de chacune des parties ce qui nécessite de bien connaitre les forces en présence, les sujets de discorde, les enjeux sous-jacents. En effet les parties en présence peuvent avoir un fort pouvoir de représailles si leur susceptibilité est contrariée.
Pas le lieu donc de l'expression de la "franche vérité" chère au parrèsiaste*. Le diplomate ment beaucoup par omission, par euphémismes, par manipulation du langage (qui a donné la célèbre langue de bois inventée par les soviétiques).
Celui qui manque de diplomatie ne peut pas espérer monter dans la hiérarchie sans se faire des ennemis ni même obtenir un statut de neutralité bienveillante. C'est utile dans certains milieux et néfaste dans d'autres, ce qui suppose donc une bonne agilité comportementale pour savoir quand utiliser la diplomatie et quand on dire la vérité sans ambages, en en assumant toutes les conséquences.
6 - Gentillesse
Une morale aussi commune que vague consiste à demander aux enfants d'être "gentils", ce qui implique une certaine forme d'altruisme ou d'humanisme envers autrui. Or cette gentillesse se heurte souvent à la vérité qui implique en général une forme de dérangement, de trouble à l'encontre de la sensibilité voire de subversion sociale ou politique. Or la vérité pourrait se marier avec la bonté qui supporte une forme de dureté, d'exigence, voire de punition, à conditions que cela aille dans le sens de "ce qui est bon pour le Sujet".
Par contraste, la gentillesse n'est pas réflexive et se soucie moins du bien d'autrui que de la préservation superficielle et irréfléchie (ce pourquoi elle est praticable dès les jeunes années) d'une certaine harmonie sociale éphémère. Apprendre à être gentil relève plus du dressage et de la répétition que de celui de l'enseignement d'une éthique qui inclut la vérité. C'est la raison pour laquelle celui qui dit la vérité n'est pas en général considéré comme gentil, mais au contraire abrupt, inflexible, intraitable voire "sec de cœur".
7 - Crainte de la réalité
La réalité est ce qu'elle est, insensible, souvent violente, injuste et cruelle. L'affronter est un défi qui implique de mettre de côté nos illusions, nos désirs, afin de garder intact notre jugement objectif. Or souvent cet effort nous coûte trop et "nous préférons regarder ailleurs alors que la maison brûle" comme dirait Chirac, quitte à nous asphyxier plus tard. Nous entretenons par conséquent l'illusion avec nous-mêmes et les autres en pratiquant le wishful thinking, nous prenons nos désirs pour la réalité en espérant que tout ira mieux, et en mettant les problèmes sous le tapis.
Or voir et dire les problèmes fait partie de dire la vérité, donc il s'agit ici d'une forte tendance qui va constamment distordre notre perception et notre jugement. Et pourtant ce mensonge ne fonctionne pas, car nous savons que nous nous mentons à nous-mêmes, l’esprit résiste en effet à la perception faussée de la réalité, au mensonge, face au principe de réalité. Ainsi nous ne faisons que renforcer notre anxiété vis-à-vis de la réalité qui menace en n'ayant pas le courage de la vérité, en détournant les yeux de la réalité. A noter que cette peur se propage et se renforce collectivement ce qui peut donner des phénomènes d'illusion collective.
8 - Crainte de la raison
La raison nous permet de comprendre le monde, de faire des jugements de valeur sur les choses et les êtres, nous y compris, d'accéder à la nature de la réalité et d'agir sur le monde. Elle opère selon des principes et des règles auxquels nous préférons souvent déroger par crainet, par désir, inertie ou paresse. La raison se construit lentement et nécessite de la patience et du courage. Or souvent nous préférons la distordre pour l'infléchir afin qu'elle se plie à nos désirs. C'est un principe très proche du précédent mais ici le mensonge prend surtout la forme d'une manipulation sémantique. En changeant les mots nous infléchissons le sens dans le sens de nos désirs et non dans celui implacable que la raison voudrait nous indiquer si nous lui en laissions le loisir.
9 - Mythomanie
C'est une forme de mensonge pathologique où le Sujet fabrique entièrement et de manière compulsive sa réalité, aidé en cela par une imagination et une créativité débordante. On peut l'expliquer souvent par un trauma psychologique dans l'enfance, bien que la mythomanie corresponde aussi à un stade normal de la pensée magique et imaginaire de l'enfant, précédant le stade social et le stade scientifique. Pourtant certaines personnes semblent dotées d'une puissance imaginative qui les dépasse et les enivre à tel point qu'elles sont capables de se persuader de la vérité de ce qu'elles racontent : cette force leur permet également de faire gober ces énormités à leurs interlocuteurs qui n'imagineraient pas qu'on puisse imaginer un tel mensonge, une telle extravagance. "Pour citer à nouveau le philosophe Jacques Chirac : "Plus c'est gros, mieux ça passe".
10 - Apaiser la douleur
Quelle soit physique ou morale, la douleur est une cause fréquente de mensonge. On peut penser à la facilité avec laquelle nous pourrions avouer n'importe quoi sous la torture, ce qui fait qu'elle n'est d'ailleurs plus guère utilisée par la justice, outre son immoralisme patent. Face à une douleur, le mensonge très courant est le déni : nous faisons comme si la douleur ou sa cause n'existait tout simplement pas ou bien nous nous forçons à sortir de la raison et de la réalité en nous réfugiant dans un monde onirique (à l’aide de drogues souvent). En ce qui concerne la douleur psychologique nous avons recours en général à l'accusation mensongère d'autrui pour nous soulager du poids de notre propre culpabilité, honte ou envie/jalousie. La haine nous aveugle et nous pousse à dire n’importe quoi pour tuer son objet (on le voit dans Le Comte de Monte Christo envoyé en prison par jalousie de son rival amoureux par exemple). Nous sommes capables de nous recréer une réalité alternative lorsque la douleur est trop forte ce qui semble être une capacité étonnante de refoulement ou de mythomanie que notre esprit crée comme on le voit dans de nombreux films, comme par exemple Shutter Island où le héros invente une réalité alternative de manière à mieux supporter l’énorme souffrance du réel (le massacre de ses enfants par sa propre femme dans cet exemple cinématographique).
* Le parrésiaste est celui qui parle franchement et directement à tout le monde, qui dit la vérité en toute circonstance. Socrate en est le modèle principal.
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