Le mensonge peut prendre de nombreuses formes. Tellement de formes que nous avons dû couper le message en deux parties.
Nous avons choisi ici de les énoncer selon les problèmes cognitifs qu'elles posent, sans prendre de point de vue moral. La limite entre conscience et inconscience est floue dans le phénomène du mensonge. Aussi avons-nous pris le parti pris de considérer comme mensonge toute forme d'énonciation ou d'acte qui, sans être pleinement conscient, pourrait le devenir et apparaître comme mensonge si le Sujet avait un regard critique sur lui-même et se posait objectivement la question de l'authenticité de son attitude et de son discours. De même, nous avons analysé le mensonge sous ses différentes formes et ses différentes causes puisque les deux se recoupent bien souvent.
1 - La mauvaise foi
Une des formes les plus courantes du mensonge, la mauvaise foi est un mensonge conscient ou semi-conscient qui consiste à éviter, travestir, déformer ou nier la vérité. Elle survient lorsqu'un jugement nous est désagréable, lorsque notre opinion est menacée ou lorsque quelque chose nous inspire le dégout, la honte, l'irritation ou la tristesse. Elle va de pair avec une forme d'entêtement et peut confiner à l'absurde lorsque tout le monde, y compris le menteur, que ce qu'il dit est notoirement faux. Chez Sartre elle est le signe de celui qui prétend ne pas être libre, par exemple chez le garçon de café ou le bon élève qui prétendent faire corps avec ce qui n'est qu'une fonction. A noter que la victimisation est une forme très à la mode de la mauvaise foi car c’est une manière assez puissante d’éluder à moindres frais sa responsabilité dans une action aux conséquences négatives.
2 - Le bullshit (boniment)
Le bonimenteur n'a aucun souci pour la vérité contrairement à la plupart des menteurs pour lesquels la vérité est un repoussoir (mauvaise foi). Ici le bonimenteur ne se soucie que de lui-même et de l'expression de ses salades, de ses boniments qu'il croit sincèrement et il s'étonne lorsque les autres ne sont pas de son avis. Le bonimenteur parle, veut convaincre, prêche, raconte avec beaucoup de plaisir, ses mensonges lui procurent une jouissance certaine. Il n'a aucune distance critique avec lui-même et n'aime ni ne veut penser. Il ne veut que raconter ses histoires et est prêt à faire de la surenchère dans le "n'importe quoi" pour continuer à se faire plaisir. Il y a une grande complaisance chez celui qui a recours à cette forme de mensonge assez populaire chez les autocrates et les personnes en position de pouvoir dominant.
3 - Le mensonge par omission
Probablement la plus utilisée des formes de mensonge car elle est très facile : il suffit de ne rien dire ou de ne dire qu'en partie, ou de ne pas corriger un mensonge ou une déformation de la vérité. De surcroit il peut prendre les apparences de la sagesse car on peut avancer que "toute vérité n'est pas bonne à dire" notamment lorsque cette dernière peut provoquer le chaos, la déstabilisation, le conflit, la subversion, alors qu'en fait la motivation pour ne rien dire peut aussi bien être la lâcheté, la manipulation ou l'intérêt personnel. C'est un mensonge du "laisser faire, laisser dire".
Ainsi ce mensonge sera utilisé dans les situations à enjeux de pouvoir ou affectifs comme en entreprise, en famille, avec des amis. Bref, quasiment partout. Il s'oppose à la vertu socratique, la parrhèsia selon laquelle toute vérité doit se dire peu importe la situation et l'interlocuteur, qui implique une grande forme de courage. En plus celui qui ment par omission peut prétendre qu'il n'a peu formellement menti, s’il considère par mauvaise foi que la seule forme de mensonge est le mensonge par commission.
4 - Le "wishful thinking"
C'est celui qui "prend ses désirs pour des réalités", qui oriente toutes ses perceptions selon la pente de ses désirs, comme la réussite sociale par exemple, qui agit comme un aimant sur sa perception du monde ainsi que sur ses raisonnements qui par diverses associations, parvient à des conclusions farfelues qui peuvent s'avérer dangereuses si cette personne prend des décisions qui impactent beaucoup de monde. On voit beaucoup ce schéma de pensée chez les entrepreneurs qui doivent penser positif afin d'emmener beaucoup de gens dans leur narration entrepreneuriale. Le problème est que les faits sont têtus et n'ont que faire de nos désirs, par conséquent les messages qui reviennent au wishful thinker sont désagréables et déceptifs, c'est pourquoi il préférera les ignorer envisager les scenarii qui correspondes à ses désirs.
5 - La naïveté
La naïveté est la "qualité de celui qui prend les choses pour argent comptant, pour qui tout est a priori justifié soit par inertie intellectuelle soit par peur car poser un jugement ou questionner un jugement peuvent créer des conflits. Or le naïf en général déteste le conflit et pense que l'état normal de la société est quand chacun vit en harmonie. Il existe cependant la version sombre du naïf qui au contraire dramatise les situations afin de les rendre plus excitantes et de sortir de son ennui existentiel. Si la naïveté peut être un mode naturel inconscient, certaines personnes la choisissent afin de rester dans une douce illusion, ce qui la rapproche du "wishful thinking". Mais le naïf est plus passif et donc probablement moins néfaste puisqu'en général on ne donne pas beaucoup de crédit à ses opinions.
6 – L’ignorance
L'ignorance totale peut difficilement être considérée comme un mensonge puisque la vérité est ignorée par conséquent il ne peut y avoir conscience de la nier, de l'éviter ou de la transformer. Cependant on peut voir le désir de rester dans l'ignorance, alors que la vérité est facile à savoir, à portée de main, comme une forme de lâcheté face au risque que peut apporter la vérité. Risque de désillusion et de déception, risque de conflits, risque de devoir prendre ses responsabilités et de se faire juger pour cela etc. Nous voyons cela à travers des expressions comme "je préfère ne pas savoir" ou bien tout simplement "je ne sais pas" alors qu'on devrait savoir en faisant simplement un effort. Une autre expression de ce mensonge est "je ne suis pas sûr.e » qui implique que répondre ou savoir devrait se faire de marnière certaine. L'ignorance se donne ainsi le beau rôle d'une fausse modestie alors qu'elle n'est que pusillanimité et peur.
7 - La prétention
Nous prétendons de deux manières soit par le déni soit par la fanfaronnade ou la vantardise.
La vantardise consiste à exagérer, monter en épingle où nous mettre en position d’acteur principal (alors que nous ne sommes qu’un des protagonistes) afin de se faire mieux aimer, mieux accepter voire admirer par les autres et par nous-mêmes puisqu'à force de répétition on peut finir par sincèrement croire nos mensonges.
Le déni fonctionne de manière similaire : c'est la prétention qu'une réalité n'est jamais arrivée afin de se protéger d’une image dévalorisante. On peut ainsi par prétention nier une faute, une responsabilité, une intention (en général mauvaise), une ignorance ou au contraire une connaissance. En général le prétentieux qui est dans le déni est en porte-à-faux par rapport aux autres qui lui font périodiquement remarquer ses manquements, ses défaillances ou défauts. Il continue à les nier en prétendant toutes sortes d'arguments fallacieux pour justifier ou minimiser sa responsabilité.
Enfin faisons une mention spéciale à la prétention à être une victime qui a pour fonction de nous attirer la sympathie, la compassion voire l'amour des autres. Prétendre par exemple que des choses terribles nous sont arrivées dans notre enfance est une manière prétentieuse et donc mensongère de nous attirer le respect ou la compassion des autres.
Plutôt que d'avouer son ignorance, le prétentieux dira "je ne suis pas sûr.e" ou bien "je ne trouve pas les bons mots" ou bien encore que "j'ai besoin de temps pour réfléchir" afin de maintenir une apparence de pseudo-intelligence ou compétence.
8 - La manipulation
Elle consiste à dire à l'autre ce qu'il veut entendre, à le séduire, l'influencer afin en général d'en obtenir des faveurs, de lui prendre son pouvoir ou d'obtenir une forme de pouvoir ou des possessions matérielles ou immatérielles. Elle est en général consciente et plutôt stratégique car orientée vers un but précis.
Il existe trois types de manipulations : la manipulation positive où le manipulateur agit pour le bien du manipulé, la manipulation malicieuse où c'est au contraire le mal, la souffrance et le malheur du manipulé qui sont recherchés et enfin la manipulation narcissique. Dans ce dernier cas c'est proche d'une forme d'autisme dans le sens où le manipulateur n'a pas conscience d'autrui mais est complètement autocentré et ne pense qu'à satisfaire ses désirs, pensant qu'il est seul au monde et que ce dernier tourne autour de lui.
De manière générale toutes les formes de manipulations sont égocentriques et autrui n'y est guère présent qu'à titre de moyen au nom de l'intérêt du manipulateur.
9 - Le narcissisme
Espèce de dérangement mental qui conduit le Sujet à se prendre pour le centre du monde. Soit il se prend pour un demi-Dieu, il est super, intelligent, beau, successful etc. soit au contraire il est pauvre, malheureux, laid, et une victime stupide. Dans tous les cas il est obnubilé par lui-même. Son discours ne se soucie pas de la vérité mais uniquement de nourrir son moi enflé, que ce soit en se plaignant de ses malheurs qu'il exagère de manière outrancière ou en paradant sur ses exploits et le rôle central qu’il joue dans l’existence.
Il ment pour se rassurer face à sa faiblesse et sa mésestime de soi : en positif de manière évidente par le déni de sa faiblesse et par la vantardise et en négatif en se sur-victimisant afin d'aller à "la pêche aux compliments". Dans les deux cas il souffre de ce qu'on appelle une « faille narcissique » d'où jaillissent de nombreux mensonges qui ne font que perpétuer sa souffrance existentielle. Il peut mentir de manière compulsive, ce qui confine à la mythomanie, uniquement parce que les informations qu'il reçoit ne correspondent à son schéma obsessionnel.
10 - La redescription
C'est une forme très courante de manipulation du langage qui consiste à changer les mots et à les remplacer par d'autres, dans le même champ sémantique évidemment, mais dont la connotation peut être opposée afin d’en gommer l’aspect conflictuel ou polémique. Très fréquemment on l'utilise pour minimiser l'impact de termes qui sont considérés comme des jugements critiques ou des problèmes sur nous-mêmes ou les autres. Par exemple l'avare dira de lui qu'il est "économe" ou bien on masquera une affirmation en disant que "c'est une question" ou une critique acerbe en le nommant "commentaire" voire "constat". C'est très populaire dans la diplomatie et dans le monde de l'entreprise où on veut éviter que les gens ne prennent peur à l'évocation de certains termes comme « réorganisation » qui peuvent en fait impliquer licenciements et pratiques autoritaires du management ou encore surcharge de travail sans contrepartie. C’est une pratique qui fait aussi florès dans les administrations et les organisations ainsi que dans le milieu politique.
super document ! il y a aussi mentir, c'est pas beau de France Brécard, AAT n°137, 2011