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Besoins de transcendance : Le dépassement de soi




Certaines personnes cherchent le dépassement de soi par l'assouvissement d'une passion qui leur donne un objectif extérieur, quoique jamais pleinement atteint, qui les porte dans une activité durable et intense. Ils peuvent rentrer en compétition avec-eux-mêmes directement ou par le truchement des autres, dans une activité sportive, artistique, intellectuelle dont ils voudront acquérir la maitrise parfaite par un travail méthodique et tenace. Elles devront fréquemment se confronter à leurs propres limitations en termes physiques, cognitifs ou créatifs et trouveront dans cette résistance de la matière la substance même de la force de leur passion, le socle même à partir duquel elles se développeront, se dépasseront. Nous prendrons un exemple concret avec celui d'un passionné de natation


Cocon

Symboliquement on pourrait dire que le nageur cherche instinctivement à retourner, à travers l'immersion, à la matrice originelle, le liquide amniotique dans lequel il baignait dans le ventre de sa mère. L'eau de la piscine est un environnement "entourant", rassurant, calme et apaisant (à condition qu'il n'y ait pas trop de monde).

L'eau est un environnement hyper-résistant et "entourant". Lorsque vous nagez vous êtes coupé du monde d'un point de vue sensoriel : on n'entend rien quand on a la tête immergée, notre vision est limitée au fond du bassin et un peu devant nous, l'odorat est inexistant comme l'eau nous empêche d'inspirer par le nez. Vous êtes dans une espèce de bulle qui vous isole du monde extérieur. C'est donc à la fois reposant mais aussi angoissant car cet environnement est hostile puisque nous risquons de boire la tasse, de nous étouffer voire de nous noyer. Par conséquent il faut dépasser ses propres peurs et angoisse de se noyer, ce que connait tout enfant qui apprend à nager.


Survol

Le fait d'être porté, de flotter, d'être en apesanteur, peut aussi renvoyer à un idéal de légèreté, de vol voire de survol en ce qui concerne le fond (de la mer ou du bassin) ce qui renvoie à une position de surplomb par rapport au monde.

Le nageur est suspendu entre deux positions : il est au-dessus du fond de l'eau mais en-dessous des marcheurs sur la terre, donc il retrouve finalement une position médiane, à la fois au-dessus et au-dessous. Ce qu'il dépasse par sa position c'est la verticalité de la station debout pour se mettre au rang d'un animal qui nage « à quatre pattes ». L'eau est ainsi recherchée pour sa capacité à nous porter, à nous faire voler, comme pour les oiseaux dans les airs et par conséquent à prendre une position de surplomb sur le monde.

Vient ensuite le concept de résistance et d'hostilité : l'eau oppose une force exactement opposée à la force que je lui applique et est mille fois plus résistante que l'air ce qui en fait un milieu qu'il faut pénétrer d'une manière la plus profilée possible pour minimiser cette résistance. Par ailleurs c'est cette même résistance qui est à la fois un obstacle et un point d'appui, un levier pour me propulser de l'avant. Je dois donc "faire corps" avec l'eau, la considérer comme une amie, si je veux pouvoir m’y déplacer de manière fluide.


Puissance

L'eau me permet de dépasser, de défier la pesanteur, au sens physique comme au sens psychologique puisque l'exercice me procure également une forme de sérénité mentale. Si je veux accroitre ma vitesse, ce qui me donne un sentiment de puissance et de maitrise de mon environnement, il faut que je résolve l'équation entre la moindre résistance et le maximum de propulsion. Pour cela je dois être profilé comme un bateau et trouver la meilleure position de mon torse et de mon bras afin qu'il s'appuient sur l'eau sans me freiner mais en accélérant le reste de mon corps, tel un élastique qui se détend. Tout cela demande de la concentration, de la coordination avec le reste du corps et donc un effort constant voire croissant si l'on veut maintenir une certaine vitesse.

Dans cette idée de dépassement de soi nous retrouvons donc le concept de puissance : voici un endroit où je peux relativement maitriser la puissance que j'ai sur mon environnement direct ce qui peut venir compenser une certaine impuissance que je peux avoir dans d'autres domaines de mon existence.

Celui qui a le dépassement de soi comme transcendant, est celui qui se trouve limité, contraint, et ne s'en satisfait pas. Développer sa puissance et sa maitrise répond à une situation d’incomplétude : impuissance et absence de contrôle. Le sport de manière générale est une manière de développer sa puissance surtout lorsqu'on est un enfant plutôt chétif, timoré et doté de peu de confiance en soi. C'est aussi un moyen d'avoir un contrôle sur sa vie lorsqu'on se sent balloté par les événements, et sans contrôle sur son propre corps.


Epreuve

L'autre défi à relever dans la nage est de supporter de retenir sa respiration sous l'eau pendant l'effort et de ne respirer qu'au moment précis où la tête tourne sur l'axe longitudinal (en crawl du moins). Ce sentiment d'oppression peut aller jusqu'à la douleur des poumons qui brulent lorsque l'effort s'intensifie. Chaque respiration constitue une forme de libération et de contrainte puisqu'elle ne peut être que très courte, à défaut de quoi la s’interrompt. D'ailleurs ce nom « to crawl » qui signifie "ramper" pointe vers la lenteur et l'inconfort, voire le côté contre-nature qu'il y a à se mouvoir dans l'eau. Nous ne sommes pas des poissons et sommes bien maladroits dans cet environnement, à moins d'avoir développé sa technique de manière fastidieuse pendant plusieurs années. Il y a donc une forme d'épreuve face à la souffrance, d'abnégation et d'oubli de soi dans l'exercice, à défaut de quoi la nage devient trop douloureuse et nous devons nous arrêter.


Intensité

Le sportif a besoin d’intensité, de se sentir vivre, y compris dans la souffrance, qui s’exprime. Et celui qui a besoin d'intensité en manque. Or le manque d'intensité porte un autre nom : l'ennui. L'ennuyé recherche de l'excitation donc de l'intensité vitale pour compenser celle qui lui manque naturellement. Il le fait par le corps probablement parce que son intellect seul ne lui suffit pas à s'auto-exciter, à s'intéresser à ses propres idées ou processus mentaux. Il se tourne alors vers l'intensité corporelle qui correspond également à son goût pour l'ascèse (il ne pourrait pas se satisfaire longtemps d'une pure jouissance par les plaisirs du corps comme la nourriture, le sexe ou l'alcool et les drogues).


Performance

Lorsque le nageur maitrise bien la technique il peut commencer à envisager de penser à la vitesse et à la performance. En ce qui concerne la performance pure il s'agit de faire le temps le plus rapide sur une distance donnée, dans une nage donnée. De ce point de vue la notion de dépassement ne diffère pas de ce qui se passe dans les autres sports chronométriques : seul le chronomètre fait loi en la matière, et c'est une loi implacable car objective. A ce niveau les limites sont très rapidement trouvées et les sportifs de haut niveau passent un temps considérable dans l'eau pour essayer d'éroder de quelques dixièmes leur temps de référence. Ici nous rentrons dans une discipline monacale réservée à l'élite de l'élite qui se bat pour quelques places dans le cercle très fermé des compétitions nationales et internationales. C'est aussi évidemment une forme de dépassement de soi par l'intermédiaire du dépassement des autres et réciproquement.


Dépassement

Au-delà de l'aspect purement performatif ou sportif de la pratique de la natation, nous touchons également à une forme sensuelle du dépassement puisque le nageur, à l'instar du surfeur, est à la recherche du « mouvement parfait » afin de sentir qu'il glisse à la surface de l'eau, qu'il fait corps avec l'élément pour se fondre en lui. Il y a un dépassement de la distinction entre intérieur et extérieur puisque le nageur fait partie de l'eau et l'utilise complètement à son profit. C'est un sentiment assez subtil et qui ne peut être reproduit à volonté : un peu comme la joie spinoziste ou peut-être comme le Dao cela arrive « comme cela » sans prévenir et quand cela arrive, cela part rapidement, surtout si l'on tente trop de s'y maintenir. Il faut à la fois le vouloir sans le vouloir. Pour bien nager il faut un certain abandon de la volonté pour ne pas résister à l'eau et "se battre" mais en même temps il faut une mobilisation de la plupart de ses muscles dans un effort constant et important. Les meilleurs nageurs, les plus rapides, sont ceux qui avancent "sans avoir l'air de fournir le moindre effort". Il s'agit de sprinter en toute décontraction, de se donner à fond sans se dépêcher, en étant relâché et surtout pas crispé, donc de toujours avoir une certaine forme de distance avec soi-même.

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