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La manipulation est-elle toujours néfaste ?




Du lavage de cerveau à la question rhétorique


Pour le sens commun, se faire manipuler c'est être le jouet malheureux d'une personne qui a su exercer à notre insu une influence sur nous pour son propre bénéfice. Nous n'avons pas nécessairement été escroqués, volés ou humiliés mais nous en ressortons avec la désagréable impression d'avoir fait quelque chose contre notre propre consentement, mus par quelque contrainte diffuse qui ne dit pas son nom.

Celui qui manipule utilise autrui pour parvenir à ses propres fins sans que celles-ci soient explicites. Les exemples les plus impressionnants de la manipulation vont jusqu'au lavage de cerveau où un individu est soumis à des messages répétitifs, coupé de son environnement familier et finit par devenir un exécutant aveugle et déshumanisé des ordres que lui intiment son manipulateur. Ceux qui procèdent au lavage de cerveau ont besoin de bons soldats pour faire la sale besogne qui leur répugne ou pourrait les mettre trop en risque personnel. Il est en effet difficile de montrer que nous sommes sous l’emprise d’une conscience extérieure, car le manipulé peut par ailleurs fonctionner de manière rationnelle dans sa vie quotidienne. L’exemple le plus proche de nous est celui de jeunes Français qui partent faire le jihad en Syrie alors que rien ne les prédisposait à un engagement si radical pour une cause dont ils ignoraient tout quelques mois plus tôt.


Sans aller dans des formes si extrêmes il existe aussi des formes de manipulation plus courantes et aux intentions moins nihilistes et destructrices. On peut penser par exemple à l'homme de pouvoir qui manipule son entourage pour parvenir à ses fins politiques : on fait implicitement comprendre à un subordonné qu'il ferait mieux de fermer les yeux sur telle pratique illégale s'il ne veut pas finir sa carrière dans un placard, sans jamais prononcer les mots interdits comme "corruption", "pots de vin" ou "mesures de rétorsion”. Le manipulateur sait ainsi habilement jouer sur les peurs du manipulé en maniant la menace dans une belle langue de bois (“il faut le neutraliser” au lieu de "il faut le tuer") tout en se présentant comme un allié jouant pour son équipe. "Pense à ta carrière et à tes enfants : que deviendront-ils si tu te retrouves au chômage ?”.


Dans une société matérialiste agiter le spectre de la précarité est toujours efficace et l'emporte aisément face à des considérations morales qui sont d'autant plus relativisés que "tout le monde fait pareil”.Le sentiment d'être un rouage dans une organisation dont les buts nous dépassent contribuent largement le sujet moral à se déresponsabiliser et à noyer ses éventuels scrupules individuels, cependant le malaise s'installe tout de même dans l'âme du manipulé dont la conscience morale “rue dans les brancards”, provoquant périodiquement des malaises physiques.


In fine, dans la manipulation néfaste il y a toujours l'idée que le manipulé est utilisé pour les fins égoïstes d'autrui sans qu’il en ait vraiment conscience. Le manipulateur le plus efficace utilise des ressorts de la psychologie positive pour faire agir : il nourrit ainsi la "faille narcissique" du manipulé en le valorisant, en faisant valoir la reconnaissance de sa hiérarchie, son sens de l'idéal, son sentiment d'exister et d'être utile aux autres, ou plus trivialement son confort matériel.

Il peut ainsi s'assurer une collaboration active du manipulé et accroître son emprise sur celui-ci qui devient dépendant des gratifications affectives que lui prodigue habilement son "mentor", "chef", "véritable ami".

Ceci était pour la manipulation forte, celle résultant d'un objectif clair, d'une stratégie consciente de manipulation pour arriver à ses fins, celles-ci justifiant évidemment les moyens dans l'esprit du manipulateur.


Manipuler avec de bonnes intentions


Il existe également une manipulation douce où l'intention du manipulateur est semi-consciente, intuitive et ne relève ni d'une volonté de nuire à autrui ni de profiter des avantages d'autrui. Elle peut relever au contraire d'une intention louable. Par exemple le parent qui manipule son enfant en lui donnant une fausse alternative : “tu préfères faire tes devoirs maintenant et regarder la télé après ou faire tes devoirs plus tard mais sans télé ?”

Il fait cela pour inciter son enfant à faire ses devoirs avec la carotte de la télé à la clé. Personne ne trouvera rien à redire d'un point de vue éthique à ce type de manipulation, la plupart des parents la pratiquent quotidiennement. Cependant en grandissant les enfants deviennent de moins en moins dupes et obligent le parent à soit plus de transparence et de dialogue rationnel soit plus d’autorité et d’arbitraire.


Autre exemple, le professeur de physique qui “ment” sur une loi de la physique (en la réduisant ou en l’amputant d’une part essentielle) pour ne pas compliquer les esprits des élèves tout en sachant qu'ils apprendront la vérité l'année d'après, manipule ses élèves au nom de la pédagogie. Le savoir s'acquiert de manière progressive et certaines simplifications sont aussi, en matières de sciences, des falsifications nécessaires pour ne pas noyer les élèves sous trop de complexité théorique (par exemple parce qu'ils ne maitrisent pas le calcul dérivé mathématique qui leur permettrait de mieux comprendre le concept d'accélération). On n'accuserait pas l'Education Nationale de manipulation des élèves dans ce cas.

Nous voyons donc que le critère pour décider si une manipulation est bonne ou néfaste n'est pas l'intention du manipulateur mais la transparence du procédé.

Un autre type de manipulation par le langage que nous pratiquons quotidiennement passe par la technique des "fausses questions" ou "questions rhétoriques" (auxquelles j'ai déjà consacré quelques articles). Par exemple, la très pratique "question interro-négative" : "Ne penses-tu pas qu'il faudrait que tu traites ce dossier en priorité ?" Pratique parce que la forme interrogative donne l'illusion de l'ouverture (ce qui dégage le questionneur de toute suspicion d'être directif) tout en suggérant fortement une action. Et cela comporte aussi l'avantage que le questionneur n'a pas besoin d'apporter un argument (puisque c'est une “question”) mais laisse au répondant la charge du contre-argument alors que ce dernier est souvent pris au dépourvu.


La bonne manipulation est toujours transparente


Nous voyons donc que le critère pour décider si une manipulation est bonne ou néfaste n'est pas l'intention du manipulateur mais la transparence du procédé. Une manipulation avec mensonge ou dissimulation c'est toujours mal et une manipulation transparente, cela ne pose pas de problème parce que le manipulé peut toujours décider d'arrêter le processus puisqu’il le voit, le comprend et en voit les effets.

Ainsi lorsqu'on va chez un chiropracteur il vous manipule la colonne vertébrale mais vous le laissez faire parce que vous avez confiance et que vous avez un problème à régler.

Ainsi lorsqu'on va chez un chiropracteur il vous manipule la colonne vertébrale mais vous le laissez faire parce que vous avez confiance et que vous avez un problème à régler.


Pour revenir à une manipulation mentale et non physique, la pratique philosophique consiste également à manipuler un sujet en lui posant des questions et en étant exigeant sur la pertinence des réponses. Ce faisant le questionné accepte de travailler les compétences de la pensée en répondant aux questions, aux objections, en validant ou en réfutant les arguments que le philosophe-praticien lui propose, en réfléchissant sur les attitudes que celui-ci perçoit etc...Ainsi on peut affirmer que tout dialogue authentique et rigoureux est une manipulation réciproque et transparente, à l'instar de la danse. D’ailleurs dans la consultation philosophique il arrive que le sujet questionne également le philosophe sur lui-même et ce dernier alors accepte de jouer le jeu de bon gré.


A ma connaissance les psychologues et les coachs ne prétendent pas manipuler leurs clients ou patients. Et pourtant ils ne montrent pas tout ce qu'ils font, ils ne sont pas transparents entièrement dans leur approche du “dialogue” et c'est pourquoi ils préfèrent parler de "neutralité bienveillante" (pour les psychanalystes en tous cas) ce qui à mon sens est une illusion car il n'y a pas de “neutralité” dans l'être humain ne serait-ce que parce que tout ce que nous faisons a une raison, une intention, et une intention est toujours une direction, une orientation.


S’ils admettaient manipuler leur client, ce qui à mon avis comporte une part de vérité, ils ne pourraient pas le justifier par l’argument de la transparence mais uniquement par celui de la “bonne intention” mais cela viendrait dans ce cas contredire leur prétention à la neutralité. D’ailleurs le concept de “neutralité bienveillante” n’est-il pas déjà une manipulation du langage ?

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