La patience nous ouvre la porte vers une liberté : celle de ne pas céder à nos impulsions immédiates qui nous poussent à agir de manière inconsidérée, par exemple à dire des bêtises, à accepter des choses que nous ne devrions pas accepter, à réagir alors que nous ferions mieux de réfléchir. Ne pas céder implique donc de résister, de déployer une force contre une autre force qui semble nous attirer : celle de notre désir. Or un désir peut être néfaste, illégitime, contradictoire. Evidemment nous vivons dans une société de consommation qui nous pousse à céder à nos désirs, à les satisfaire tous, parce que "nous le valons bien", n'est-ce pas ? C'est donc tous les jours que notre patience peut être mise à rude épreuve.
Nous sommes tellement habitués à ce que nos désirs soient rapidement satisfaits, en tant que consommateurs, que notre tolérance à la frustration de l'attente se réduit de plus en plus. Si donc nous admettons que nos désirs ne sont pas a priori légitimes alors la prudence voudrait que nous n’y cédions pas d’emblée et que nous employions notre force à résister à cet appel à la gratification immédiate, force que nous appelons patience. En différant nos désirs, ne serait-ce que le temps de nous demander : “en voulant faire ceci ou cela, est-ce que je fais mon bien ? En répondant à telle ou telle sollicitation, est-ce que je fais le bien d'autrui et le mien ?”, nous donnons l'interstice qui nous permet de décider en pleine conscience et ne nous soumettons pas passivement à nos impulsions du moment.
De la même manière nous sommes face à des problèmes dont nous aimerions bien nous débarrasser au plus vite puisqu’ils nous frustrent. Mais il existe plusieurs types de problèmes : en ce qui concerne les problèmes pratiques, certains peuvent se résoudre d'eux-mêmes si on laisse mûrir la situation. Si je veux acheter le dernier gadget high-tech mais n'en ai pas les moyens, il me suffit de patienter quelques mois pour que son prix ait baissé de manière significative, si je suis énervé contre ma femme ou mes enfants, sept minutes de patience suffisent, parait-il, à faire retomber la colère et à dialoguer paisiblement, enfin les meilleurs sportifs ne sont-ils pas ceux qui savent attendre le moment opportun pour porter leur attaque décisive, plutot que de gaspiller leurs forces trop tôt ? D'ailleurs c'est le même principe en matière militaire et j'imagine dans le monde des affaires. Un peu de patience permet d'apprécier la situation, de juger et jauger les forces en présence et d'agir de manière efficace, en prenant en compte l'économie naturelle de la situation, son équilibre, sa dynamique interne que l'on ne peut saisir qu'en étant soi-même immobile et en surplomb si possible.
Qui plus est, prendre patience est un travail sur soi qui renforce notre tolérance à la frustration et nous rend plus forts car nous pouvons à loisir nous réfugier dans notre "citadelle intérieure" comme le disait l'Empereur Marc Aurèle, afin de réfléchir au sens de notre action et de faire notre examen de conscience. Cependant, elle n'est qu'une clé qui ouvre la porte vers d'autres vertus (la modération, la justice) et ne résout pas d'elle-même nos problèmes, puisqu'elle est avant tout une non-action sur la situation qui libère de l'énergie pour un travail sur nos propres représentations.
En étant patient, je n'abandonne pas mon projet mais je le diffère. Or certains projets devraient être abandonnés parce que même différés ils comportent plus d'effets pervers que d'effets bénéfiques, comme le projet de vengeance démesuré d’Edmond Dantès dans le Comte de Monte Cristo. Il aurait pu profiter de son évasion pour se bâtir une belle vie plutôt que de consacrer la sienne à lentement détruire celle des autres. La patience peut aussi être une forme d'obsession, de fixation vers un objectif qui finit par se fossiliser et oublier sa raison d'être.
Ainsi la patience devrait être mise à profit pour réfléchir sur nos propres motifs d'action et les ajuster le cas échéant. C'est probablement une vertu qui va devenir clé dans un monde où l'immédiateté nous pousse à réagir en urgence à tout et n'importe quoi. A ce propos si vous avez un problème d'impatience je vous recommanderais bien de tester une consultation philosophique avec moi, puisque cette vertu commence avec la prise de conscience que nous nous précipitons lorsque nous prétendons penser.
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