La liberté fait peur parce que, comme par exemple Sartre l’a bien décrit, elle nous livre à l'angoisse existentielle de faire un choix, de nous choisir un projet, par conséquent de renoncer à d'autres voies possibles, de nous fermer des portes et de nous engager dans une voie sans évidemment savoir où celle-ci nous mènera. La liberté nous met face à notre responsabilité mais aussi nous met face à nous-mêmes : "ai-je les capacités, les compétences, les vertus nécessaires pour entreprendre telle ou telle chose ? Vais-je me faire confiance pour aller jusqu'au bout et les autres vont-ils me faire confiance, me suivre dans mon "aventure" ? Que d'inconnues s'ouvrent à nous en même temps que se découvre notre liberté ! Quelles conséquences sur mon environnement aura mon choix, pourrai-je revenir en arrière ? Les choses seront-elles jamais comme avant ou est-ce que je crée une nouvelle situation en exerçant ma liberté ? Telles sont les questions qu’ouvre la liberté.
La liberté fait aussi peur parce qu'elle nous distingue d'autrui qui choisit en général la sécurité et le confort au prix d'un certain renoncement à sa liberté, d'une certaine aliénation. La liberté se conquiert toujours sur le confort, sur la paix, sur la prévisibilité, sur la routine rassurante, sur la garantie. Or le plus grand nombre préfère souvent la sécurité et le confort à la liberté. Quoi de plus rassurant en effet que de s'en remettre à une autorité, que celle-ci soit morale, intellectuelle, hiérarchique ou spirituelle. Plus besoin d'avoir à se demander si c'est mal ou bien, votre directeur de conscience vous le dira, plus besoin de savoir si c'est vrai ou faux, intelligent ou stupide, le professeur vous mettra une note, plus besoin de savoir à quoi cette instruction peut bien servir, c'est votre chef qui vous l'a demandé, lui doit bien le savoir. Le mieux est encore d'avoir une autorité qui combine les aspects hiérarchiques, spirituels, moraux et intellectuels : cela s'appelle un maître tout court ou un gourou. Qu'il est doux d'être dans l’état de servitude : plus rien à penser, juste exécuter et se laisser porter par les ordres. La liberté au contraire c'est l'inconnu, l'imprévu, la réalité souvent brutale, le changement, le chaos. Alors souvent, plutôt qu'une liberté radicale nous en choisissons des succédanés provisoires afin d’avoir une ivresse passagère de liberté, un goût de liberté : nous goûtons au sentiment de la liberté en partant en excursion pendant nos vacances, en nous perdant dans les rues de cette ville, en ayant une "aventure" avec cet homme ou cette femme, en faisant cet investissement financier risqué, en allant jouer au Casino... Mais la liberté n’est pas qu’un sentiment, c’est un état relativement objectif du Sujet placé devant des choix. Pour ne pas s'angoisser de la liberté du choix il faudrait s'en remettre au hasard, jeter les dés et s'en tenir au résultat quoiqu'il arrive. C'est-à-dire qu'il faut se donner une règle qui est une forme de contrainte. Nous n’avons à l’heure actuelle pas trouvé de contrainte plus juste, efficace et objective que la rationalité. Dans la délibération nous pesons la rationalité de chaque option. La raison possède ses propres lois contraignantes : ainsi un choix rationnel n’est pas vraiment libre puisqu’il choisit de se soumettre aux lois de la raison, la raison est une servitude volontaire. Mais un choix irrationnel est encore moins libre parce que les motifs qui l’animent sont inconnus du Sujet. Mieux vaut un conditionnement transparent que opaque. Or nous sommes heureusement conditionnés pour penser, ce qui paradoxalement est la possibilité de notre dé-conditionnement. Nous en revenons donc au principe selon lequel la liberté n’existe pas mais qu’il y a des degrés dans l'ignorance de ce qui nous conditionne : découvrir les motifs qui nous font agir, apprendre à les vouloir et à les aimer, cela ne nous rend pas objectivement plus libre mais cela augmente notre puissance d’exister et donc de Joie, paradoxalement. Spinoza contre Sartre. Et si nous pensons que la liberté n'existe pas, si nous faisons jouer Spinoza contre Sartre, alors la question de l'angoisse disparaît du même coup. Là où la nécessité règne en maître absolu il n'y a pas d'angoisse possible. L'idéal est donc, tout en sachant que ce que nous faisons est absolument nécessaire, de le vouloir résolument pour s’y engager pleinement et ne pas donner flanc au regret, quelle qu’en soit l’issue. Il ne peut rien y avoir à regretter. Cet état s'appelle la résolution et c'est cet état de résolution qui nous rend authentiques. Nous sommes résolus pour agir dans un sens alors que nous n’avons pas toutes les clés pour décider objectivement et que nous ne pouvons avoir aucune certitude. Descartes comme synthèse (anachronique) entre Spinoza et Sartre. Finissons par cette citation de notre illustre prédécesseur : “Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées.”
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