S'engager c'est sortir d'un monde de virtualités, de possibles agréables, du rêve et de ses illusions excitantes pour rentrer dans une voie qui oblige à regarder devant soi en acceptant de donner, à voir de l’intérêt dans un domaine plus restreint et plus contraint et à découvrir un nouveau monde hors de soi. S'engager c'est « se mettre en gage » donc se mettre en risque, s'abandonner donc accepter de perdre l'illusion réconfortante du contrôle de tous les possibles pour rentrer dans le concret, dans le réel, dans la vie. Celui qui ne s'engage pas n'aime pas la vie, raison pour laquelle il peut aussi aimer la routine, les habitudes, l'immobilité qui lui permet de regarder passer le monde sans y prendre part. Il se prend pour Dieu mais n’est qu’impuissant.
Celui qui ne s'engage pas est stérile car pour produire et créer il faut s'engager dans une œuvre, une production, il faut accepter de commencer et de terminer quelque chose et donc de se concentrer et de renoncer aux autres possibles afin de travailler et se travailler. Seul celui qui s'engage peut se travailler, changer, prendre conscience et progresser.
Dans la dialectique de maitre et de l'esclave de Hegel c'est la conscience-subsistante-par-soi qui s'engage dans la lutte à mort pour la reconnaissance par la conscience d’autrui qui devient maitre de la conscience pour autrui, dépendante. Mais c'est pourtant cette dernière qui, en s'engageant dans le travail de l'objet pour servir son maitre, se transforme à son tour et y gagne une nouvelle autonomie. C’est toujours la conscience qui s’engage qui finit par triompher de l’aliénation.
L'engagement est inséparable du risque que celui qui s'engage encourt : il avance dans une voie sans savoir si cette voie sera la bonne ou même simplement bonne.
Quand on s'engage on change les conditions, l'environnement par conséquent même si l'on veut se désengager ce ne plus le même moi qui se désengagera, rendant tout engagement d'une certaine manière irréversible. Sans s'engager on reste dans une attitude consumériste : la publicité nous vante faussement les offres sans engagement. Faussement car il y a toujours un engagement, ne serait-ce qu'apprendre à utiliser le nouveau service et prendre de nouvelles habitudes. Or quoi de plus difficile que de sortir de ses habitudes souvent lentement et laborieusement acquises ? Toute nouvelle habitude prise est un engagement fort qui crée une barrière au changement (et les vendeurs de logiciels par exemple le savent bien).
C’est justement le consommateur, celui qui consomme et consume, qui n’apprend rien, ne se transforme pas, ne travaille pas mais fait travailler les autres.
C’est justement le consommateur, celui qui consomme et consume, qui n’apprend rien, ne se transforme pas, ne travaille pas mais fait travailler les autres. Le phobique de l’engagement est un consommateur, un jouisseur qui veut garder ouvertes toutes ses options et zappe son fournisseur au moindre désagrément, à la moindre contrariété. Il n’a plus aucune tolérance à la frustration et devient plus qu’exigeant : capricieux et inconséquent.
Mais bientôt la tête lui tourne car il comprend qu’il restera toujours à la surface des choses, il tourne à vide en multipliant les aventures, les expériences qui finissent par toutes se ressembler. Le phobique a toujours peur de rater une opportunité c’est pourquoi il est toujours prêt à lâcher une relation pour une autre. Les anglo-saxons ont même donné un nom à ce phénomène : FOMO (Fear of Missing Out ou "peur de rater quelque chose")
Dans le domaine de la pensée ce phobique existe aussi : c’est celui qui passe constamment d’une idée à une autre sans en approfondir aucune, sans en examiner les conséquences et les fondements, prétendant qu’il est « inclusif » et veut « s’enrichir » en accumulant les idées. Il a l’impression de penser mais ne fait que tourner en surface lui aussi. Or pour penser, comme pour aimer, comme pour apprendre, comme pour exister, il faut s’engager.
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