L’être humain souffre. De ses limites, de sa finitude, de la distance entre son être et ses aspirations, de la fracture de son être, éclaté entre diverses aspirations ou pulsions, de la tension entre son individualité et son entourage. Pour compenser, pour traiter sa douleur à défaut de la guérir, nous nous inventons des consolations, diverses manières d’exister qui nous permettent de survivre existentiellement. Certes, on peut aussi nommer cela « projet de vie » ou « manière d’être ». Nous le nommons consolation.
«En Nekhludov, comme en tout homme, il y avait deux hommes. Il y avait l’homme moral, disposé à ne chercher son bien que dans le bien des autres ; et il y avait l’homme animal, ne cherchant que son bien individuel et prêt à sacrifier pour lui le bien du monde entier». Voici comment Léon Tolstoï, dans son chef-d’œuvre « Résurrection », décrit le dilemme existentiel que l’on rencontre communément au cours de sa vie.
Comme Nekhludov l’aristocrate, nous connaissons tous les attraits d’une vie mondaine, des plaisirs, de l’avidité et des petites satisfactions du quotidien. Mais nous savons également à quel point cela en réalité ne peut nous satisfaire : nous avons un besoin mordant. Il semble que le sens moral ait un puissant effet apaisant sur notre drame existentiel.
D’un côté, le lot habituel de mensonges et de tromperies de la société. « Il se vit empêtré de toute part dans les liens d’une vie stupide et inutile, à laquelle il ne voyait aucune échappatoire, ou plutôt de laquelle il n’avait plus la force de vouloir sortir… Dans un étrange et triste mensonge que le monde autour de lui feignait de prendre pour la vérité. ». D’un autre côté, la rébellion contre cette état de fait.
« Plusieurs fois dans sa vie, il avait fait ce qu’il appelait « une purification de conscience ». Il appelait ainsi les crises morales au sein desquelles, ressentant comme un ralentissement et parfois même un arrêt de sa vie intérieure, il décidait de balayer la saleté qui obstruait son âme. »
Tolstoï décrit longuement le sentiment d’enclavement, de médiocrité et de misère qui constitue la vie de la plupart des gens, y compris la sienne. La pauvreté physique et surtout morale et spirituelle qui nous fait souffrir.
Mais à travers le sens moral, avec de la générosité et de la miséricorde, mues par la culpabilité, un nouvel espace s’ouvre à nous, un sentiment de puissance et de liberté. « L’être moral, l’être libre, l’être actif, l’être vivant, l’unique et véritable être en chacun de nous, cet être s’était déjà révélé à lui… Quel que soit l’écart entre ce qu’il était et ce qu’il voulait devenir, cet être intérieur lui assurait que tout était encore possible. » Pour l’auteur, la vie reste une vallée de larmes, une forme d’expiation, mais le sens moral offre au moins une forme de réjouissance de l’âme.
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