Marre de m'occuper des autres, je vais être égoïste pour une fois !
Ce cri du cœur est étonnant tant il est difficile de faire abstraction d'un égoïsme congénital chez l'être humain. Il existe pourtant des personnes qui semblent tellement dévouées aux autres qu'elles en oublient semble-t-il même de prendre soin d'elles-mêmes, au point de s'abîmer la santé, comme ces grands enfants qui s'occupent d'un parent victime d'une maladie neurodégénérative.
Pourtant s'occuper à ce point des autres n'est pas sain et nous finissons souvent par maltraiter les gens qu'on aime parce qu'ils nous épuisent : quand nous sommes fatigués notre corps nous rappelle que nous avons aussi des besoins propres et des désirs à satisfaire et nous en voulons inconsciemment à ceux qui absorbent toute notre énergie. Alors nous devenons violents et la violence que nous déployons rajoute de la culpabilité à la fatigue. Être trop altruiste devient donc un problème d’hygiène mentale.
C’est le même problème dans l’autre sens, ceux pour qui l’égoïsme est un mode de vie tout à fait naturel et qui sont beaucoup plus nombreux à mon avis.
Le problème de l'égoïsme exacerbé est moins un problème moral qu'un problème d'hygiène : l'égoïste ne renouvelle pas son air car il n'accepte que celui qui sert ses intérêts, sa vision est étriquée car il recherche ce qui le sert et néglige le reste. Or il y a beaucoup plus de choses dans le monde que de choses qui sont faites "pour nous", ou même “contre nous” d'ailleurs.
Partons du principe que le monde ne nous a pas attendu pour exister et existera bien sans nous et qu'il est globalement indifférent à notre existence. C'est donc à nous de le rendre intéressant plutôt que de n'en prélever que ce qui nous arrange. Il s'agit d'une conversion du regard, une conversion esthétique. Ce qui n'a rien à faire de notre existence peut avoir néanmoins quelque chose qui peut nous intéresser sans nous servir directement : il peut être beau.
Ainsi pour détourner l'égoïste de son regard autocentré nous pouvons l'ouvrir sur la beauté, donc sur l'art sous toutes ses formes. Ce n'est probablement pas un hasard si souvent les grandes fortunes s'intéressent à l'art : ce n'est pas tant qu'elles veulent faire un investissement rentable que le fait qu'elles peuvent enfin regarder le monde autrement que comme un investissement susceptible de leur offrir un "retour" sur investissement. Le beau n'a rien à offrir que sa contemplation et il se donne à tous sans contrepartie. En général les gens égoïstes ne s'intéressent pas à l'art car cela "ne sert à rien" et donc ne leur rapporte rien. L'égoïsme n'est pas un problème de morale, c'est un problème de hauteur de vue, de souffle, de respiration, d’espace mental.
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