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Plaisir et réussite sont-ils des valeurs ?



Principe de plaisir

Celui qui place la recherche du plaisir comme vertu cardinale de son existence est ce qu'on appelle un hédoniste. Le plaisir peut-être défini avant tout comme sensation agréable, jouissance des sens et/ou de l'esprit ou encore état d'absence générale de souffrance pour une définition a minima, ce que les Grecs nommaient l’ataraxie. Remarquons d'abord que l'on dit prendre, avoir, ressentir, donner, éprouver du plaisir ce qui nous indique que le plaisir peut survenir soit dans un état de passivité soit dans un état d'activité.

Il y a les plaisirs immédiats et sensuels comme la complicité avec son enfant, le voir faire ses premiers pas ou dire ses premiers mots, le plaisir de rire à une plaisanterie, de boire la première bière du week end ou d'embrasser l'homme ou la femme qu'on aime. La nature est bien faite, qui associe la plupart du temps le plaisir à la satisfaction de nos besoins : le plaisir semble ainsi indiquer que nous sommes dans la direction de la vie, de la santé, de la croissance individuelle et de l'espèce, du développement de notre puissance d’exister, pour reprendre l'expression de Spinoza. La cessation même d'une souffrance provoque en retour un plaisir intense. Pour Freud le plaisir correspond à la décharge d’une pulsion, au relâchement subit d’une tension, d’une excitation, comme l’indique le cas paradigmatique de la relation sexuelle et c’est le principe de plaisir qui régit toute la psyché humaine. De manière plus intellectuelle nous prenons du plaisir en lisant, en écoutant un morceau de musique, en discutant avec un ami ou en écoutant une histoire captivante. Il y a le plaisir du mouvement harmonieux et sans forcer du corps, de la contemplation esthétique qui harmonise nos sens, de la compréhension subtile d'un phénomène, d'un état d'âme, du partage d'idées et d'expériences avec des amis.

Et il y a des plaisirs plus médiatisés, qui nécessitent un travail, de surmonter un obstacle en fournissant un effort : ils exigent des sacrifices donc un renoncement à des plaisirs immédiats au nom d'un plaisir jugé supérieur. Ainsi en est-il du plaisir de réussir à un examen ou un concours, d'emporter la victoire lors d'une compétition, de résister à une addiction néfaste comme l'alcool ou le tabac, de surmonter une peur ou une phobie (parler en public, s'approcher d'une araignée, faire de la voltige aérienne), de terminer une oeuvre artistique ou intellectuelle. Tous ces plaisirs sont dits supérieurs car ils se font par un effort de la volonté sur quelque chose qui résiste, une matérialité, que celle-ci soit corporelle, matérielle ou intellectuelle. L'être humain même porté par la plus ferme volonté, semble être incapable d'une action durable et soutenue s'il n'y trouve pas une forme de plaisir : c’est ce que l’on a d’ailleurs nommé le principe de plaisir.

Problème

Le problème de celui qui est principalement mû par la recherche de plaisir est qu'il se heurtera rapidement à ce qu'il doit faire par devoir ou obligation. Freud parlait alors du principe de réalité qui s’oppose au principe de plaisir : la réalité résiste au défoulement de nos pulsions immédiates, à la satisfaction de nos désirs primaires. Si l’hédoniste ou le jouisseur est, comme la plupart d'entre nous, obligé de trouver un emploi pour subvenir à ses besoins, il y a de fortes chances que son travail comporte une part relativement importante de déplaisir, de tâches ingrates, rébarbatives voire pénibles et désagréables. Dès lors se posera la question pour lui de la motivation, de l'application et de l'abnégation dont il est capable pour effectuer ses tâches obligatoires. Il lui faut ainsi différer, ajourner ses plaisirs immédiats dans l'espoir d’en satisfaire de plus grands et plus durables. Il lui faut trouver un moyen soit de prendre malgré tout du plaisir à effectuer ces tâches soit de développer son sens du devoir et de la responsabilité en pensant par exemple à la satisfaction du devoir accompli ou aux services qu'il rend à autrui en effectuant ses tâches le cas échéant soit en s’oubliant et en faisant "comme si c'était un autre" qui travaillait à sa place. On ne peut même pas envier les rentiers hédonistes : à force de ne faire que jouir sans travail ils risquent de se transformer en enfants capricieux, avides et colériques, attendant que la société leur serve ce qui leur est dû à tout moment. Pire, le plaisir peut se muer en addiction pour la jouissance immédiate. Comme il est de la nature du plaisir de diminuer en intensité avec la répétition de son son apparition, le Sujet cherche des expériences toujours plus intenses jusqu'à mettre sa vie physique ou sociale en danger, phénomène qui est bien connu avec les drogues. C'est la raison pour laquelle les Epicuriens conseillent de distinguer entre les plaisirs nécessaires (la satisfaction des besoins physiques, sociaux et spirituels) et les plaisirs superflus et néfastes (la richesse, la gloire, le pouvoir) afin de ne pas tomber dans les dangers de l'hubris qui in fine finissent toujours par accroître le malheur de l'hédoniste.

Celui qui met le plaisir comme valeur suprême se condamne à constamment procéder à des arbitrages entre ce qu'il doit faire de contraignant pour atteindre des plaisirs souhaitables sans que la contrainte lui soit insupportable auquel cas "le jeu n’en vaudrait plus la chandelle". Il doit donc développer l'intelligence du calcul de maximisation du plaisir ce qui implique de l'ingéniosité, de l'astuce et de l'intelligence afin de parvenir à gagner de longs moments de plaisirs bien mérités. Finalement on pourrait se demander si le plaisir est vraiment une valeur dans la mesure où une valeur est un choix, quasi inconscient souvent certes, et donc l'expression d'une liberté. Mais le plaisir conditionne-t-il déjà cette liberté ? D'un point de vue psychologique, la liberté se manifeste comme nous l'apprend Sartre, par le phénomène de l'angoisse, du vertige qui est un sentiment désagréable. Par conséquent le principe de plaisir nous pousserait d'emblée à rechercher, paradoxalement, à échapper à notre liberté et à l'angoisse concomitante.

Dès lors, si nous plaçons le plaisir au rang d'une valeur, nous faisons comme si le plaisir était librement choisi alors que c'est lui qui conditionne notre échappement à la liberté. Cela suffit à notre sens pour disqualifier le plaisir comme une valeur.


Le plaisir n'est pas une valeur parce que nous ne choisissons pas de vivre selon le plaisir, c'est le plaisir qui nous fait choisir.

L'être humain est un être mû par le plaisir car c'est un être corporel : or la souffrance est en général ce qui est néfaste au corps, ce qui tend à sa destruction. Par conséquent tout être humain fuit la souffrance et est mu par un principe de plaisir qui conditionne même son choix de valeurs. Si je choisis la raison ou la justice comme valeur c'est au-delà des rationalisations que je pourrai en faire a posteriori, parce que cela me fait plaisir. Le plaisir n'est pas une valeur parce que nous ne choisissons pas de vivre selon le plaisir, c'est le plaisir qui nous fait choisir. Le plaisir n'est pas une valeur parce que nous ne choisissons pas de vivre selon le plaisir, c'est le plaisir qui nous fait choisir. En fait, la distinction la plus essentielle que nous ayons concernant le plaisir est la suivante : le plaisir est-il immédiat ou médiatisé par la conscience, par un projet, un but à atteindre ?

Mensonge de la réussite

Pour le sens commun, réussir signifie obtenir une forme de reconnaissance sociale suite à la maîtrise de compétences difficiles, au succès financier et commercial d'une entreprise par exemple, à l'élection par le public d'une performance particulièrement prisée ou d'une qualité valorisée dans un certain marché. Réussir dans ce sens n'est pas accomplir une chose en particulier mais obtenir une forme de notoriété suite à un certain nombre d'accomplissements. Élever la réussite au rang de valeur c'est se soumettre à un critère évanescent et extrinsèque : celui qui veut réussir pour réussir risque fort de se retrouver déçu du vide qui l'attend une fois la réussite survenue. Il nous semble que le bon ordre est que la réussite peut être l’effet secondaire désirable de qualités ou vertus appliquées comme : la ténacité, la créativité, l'ouverture et la générosité par exemple. Ces valeurs doivent évidemment s'accompagner de talent ainsi que d'un facteur extrinsèque : la chance. Nous ne disons pas qu'on ne peut pas “provoquer sa chance” mais enfin il est bien connu par exemple que les hommes d'affaires qui ont obtenu du succès l'ont connu souvent après de nombreux échecs et après que des conditions favorables de marché soient réunies pour que leur produit ou service rencontre son public.


Le succès est une notion bien trop volatile, évanescente et “chimique” pour qu'elle puisse être élevée au rang de valeur.

Il y a donc dans l'idée de réussite celle de la rencontre entre un homme, ses réalisations et une "audience" réceptrice, que cette audience soit constituée de clients, de lecteurs, de spectateurs ou d'admirateurs. Et comme dans toute rencontre, il y a une part de mystère dans la réussite. Pourquoi telle chanson rencontre-t-elle un succès fulgurant et telle autre pourtant jugée excellente fait-elle un flop ? Le succès est une notion bien trop volatile, évanescente et “chimique” pour qu'elle puisse être élevée au rang de valeur.

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