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Pourquoi la pratique philosophique est-elle un travail ?

  • Photo du rédacteur: Jérôme Lecoq
    Jérôme Lecoq
  • 10 févr.
  • 4 min de lecture



Je n'aurais même pas imaginé poser cette question si je n'avais été confronté à plusieurs reprises à des personnes, au profil plutôt intellectuel, qui prétendent ne pas être intéressé(e)s par cette pratique au motif qu'ils ne voient pas pourquoi ils paieraient pour penser. Après tout ils le font déjà tous les jours et ils ont des lectures profondes et riches grâce auxquelles ils se confrontent à la pensée d'un auteur. Par ailleurs ces personnes ont des amis avec lesquels elles discutent, s'entretiennent, se confrontent, argumentent, questionnent etc...qui "nourrissent" leur réflexion. Au passage on reconnaîtra la métaphore alimentaire qui compare la pensée à l'estomac.

Par conséquent oui elles pensent et ne voit pas bien ce que pourrait leur apporter cette pratique prétendument philosophique, on n'y voit pas la valeur ou en tous cas pas plus de valeur que ce qu'elles font déjà par elles-même.


En général je propose à ces personnes une consultation et là elles voient tout de suite le gouffre qui existait entre leur perception initiale et ce qu'elles en pensent après une séance unique. Mais imaginons que je n'ai pas cette possibilité de les confronter directement avec la pratique elle-même.

Que pourrais-je dire qui montre la valeur de cette pratique par rapport aux activités intellectuelles dont je parlais plus haut ? J’ai déjà parlé de la différence entre le dialogue réflexif et la discussion.

“Je” est le plus mauvais juge de soi-même, par conséquent cette présence est une altérité fondamentale

La première raison est la présence : le praticien se trouve en face de vous, cet inconnu et il vous pose des questions. Il examine chaque réponse sans concessions et commence à faire des remarques et propose des hypothèses sur votre manière de penser, votre attitude, les problèmes qui se trouvent dans votre réponse. Le sujet est quelque peu face à lui-même d'une manière que ni un ami (car l'amitié est trop suspecte de complaisance comme le faisait remarquer Platon) ni un livre (car un livre n'a pas la présence d'un être humain, aussi pertinent et impertinent soit-il, comme le faisait aussi remarquer Platon) ne sauraient le mettre. C'est la manière la plus efficace de voir les problèmes dans votre pensée et dans votre attitude. Vos amis n'ont pas la compétence ni l'attitude pour le faire et un livre ne vous parle qu'indirectement et vous pouvez le lâcher dès que l’envie vous en prend.

Or “je” est le plus mauvais juge de soi-même, par conséquent cette présence est une altérité fondamentale, un miroir réfléchissant et qui se déplace à mesure que vous voulez lui échapper.


La deuxième raison est le cadre méthodologique et systématique de la pratique : chaque question est pesée, chaque réponde passée au crible des différents problèmes d'argumentation, chaque réponse est clarifiée afin que l'on comprenne bien le positionnement du sujet, chaque hypothèse est validée et objectée pour en voir les limites. De la même manière les attitudes sont observées et mises en lien systématiquement avec le discours afin de repérer les éventuels décalages susceptibles de nous mettre sur la piste d’un problème intéressant à creuser.

Le client travaille aussi beaucoup, réfléchit, pense intensément, fait des erreurs puis se reprend spontanément

La troisième est la compétence du praticien : vous avez face à vous une personne rompue à l'art du questionnement qui vous sert la bonne question au bon moment, qui a l'habitude de voir et de nommer les problèmes dans une réponse, dans un argument ou dans une question, qui vous entraîne à opérer des choix, à clarifier votre discours et votre positionnement, qui vous montre les contradictions apparentes dans vos discours, qui vous oblige à garder le fil conceptuel tout au long du dialogue et vous résume les acquis de la discussion et les points qui restent à démontrer. Il rappelle, synthétise, questionne, problématise, interpelle : le praticien n'est pas passif mais il travaille intensément pour son client. Il s'intéresse à son être, détecte les enjeux philosophiques qui sous-tendent une proposition et qui auraient été omis dans une discussion classique.


Le client travaille aussi beaucoup, réfléchit, pense intensément, fait des erreurs puis se reprend spontanément : il revient plusieurs fois à son ouvrage dans un jeu d’essais et d’erreurs mais voit les résultats de ses efforts rapidement récompensés par un résultat. Il a enfin pu répondre de manière claire et argumentée à la question, il a su produire diverses hypothèses cohérentes et plausibles à une question difficile, a eu des prises de conscience quant à des croyances automatiques, des impensés, des difficultés à choisir, à répondre, à "sortir de lui-même".


Au cours de la consultation le praticien fait son diagnostic sous la forme de commentaires sur l'être du sujet et lui fournit des recommandations pour l'aider à mieux penser, lui propose des exercices pour développer telle ou telle compétence qui le mériterait.

Les vertus du client sont mises à l'épreuve :

  • son courage à accepter des choses difficiles, à faire des choses difficiles comme de reprendre plusieurs fois son hypothèse pour l'approfondir,

  • sa générosité à produire des réponses et à essayer de trouver du sens à des propositions qui n'en avaient a priori pas pour lui au départ.

  • son honnêteté intellectuelle en reconnaissant les contradictions dans son discours sans se formaliser ni s'agacer,

  • sa bienveillance envers lui-même en ne s'énervant pas lorsqu'il commet des erreurs comme des contre-sens, des sur interprétations, des généralisations abusives des tautologies ou autres erreurs de logique.

  • son ouverture d'esprit en acceptant de penser l'impensable, c’est-à-dire prendre momentanément le contre-pied de ses croyances les plus indubitables.

  • sa confiance en lui pour trouver du sens même quand il sèche, pour accepter de se tromper pour progresser, pour contempler ses propres mots qui le trahissent et qu’il a pourtant choisis.

  • sa souplesse pour accepter des règles du dialogue contraignantes qui l'obligent à penser contre lui et à développer son esprit critique.

Et voilà le travail !

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