Certains sont prêts à tout pour se faire reconnaître, pour que l'on fasse attention à eux, quitte à se faire détester et à se faire attaquer. Plutôt la violence de l'attaque que l'ignorance ou le mépris. Rien n'est pire que de ne pas exister pour autrui : c'est logique car si l'on en croit Hegel, je ne peux me reconnaître qu'à travers le regard d'autrui. Seul autrui atteste de mon existence à mes propres yeux, seul autrui peut être le miroir de ce qui se joue en moi et me permet de le voir. Sans cela je pourrais sentir que j'existe mais non me reconnaître comme un être pensant ou spirituel. L'enjeu de se faire reconnaître est donc de se reconnaître tout simplement.
Celui qui souffre ostensiblement cherche à ce qu'autrui lui accorde une valeur pour le prix de sa souffrance
Certains sont prêts à aller jusqu'à se faire agresser et donc à souffrir plutôt que de risquer l'ignorance, la compassion ou la pitié qui témoignerait de leur état d'infériorité, d'aliénation et d'impuissance. La souffrance est en effet un moyen d'exister : on pourrait raconter l'histoire du monde à travers le prisme de la souffrance. Que serait Jésus sans la souffrance, sans la passion, sans l'abandon, l'humiliation ? La souffrance inspire le respect, elle donne une dimension dramatique au Sujet , qui, sans elle, il ne serait peut-être que pauvre, chétif et mesquin. La souffrance élève parce qu'elle met le Sujet à l'épreuve et autrui ne peut ignorer celui qui souffre car par empathie il souffre lui-même. Au moins faut-il que cette souffrance soit visible aux yeux d'autrui : celui qui cherche la reconnaissance a tout intérêt à ce que sa souffrance soit visible, voire spectaculaire.
Celui qui souffre ostensiblement cherche à ce qu'autrui lui accorde une valeur pour le prix de sa souffrance, comme si cette souffrance lui ouvrait des droits à la valeur, la dignité, la reconnaissance.
Plus classiquement, le désir de reconnaissance prend plusieurs formes : je peux vouloir me faire reconnaître comme existant tout simplement, ce qui passe en général par le regard au minimum, je peux vouloir me faire reconnaitre en devenant riche ou puissant (ou les deux à la fois), en devenant un expert dans mon domaine, en accomplissant un exploit, en créant quelque chose d’unique comme pour les artistes.
On peut ainsi se faire reconnaître pour ce que l'on a, pour ce que l'on pour ce que l'on fait, pour ce que l'on crée, pour ce que l'on donne aussi.
La chose qui semble la plus difficile cependant est de se faire reconnaître pour ce que l'on est et non pour ce que l'on veut que les autres voient en nous.
Celui qui se fait reconnaître pour ce qu'il est est celui qui est, simplement, qui fait coïncider son être et son image, qui ne cherche pas justement à se faire reconnaître. Lui-même se reconnaît en lui-même ou plutôt il n'a pas besoin de se reconnaître puisqu'il se connait déjà. Il sait ce qu'il vaut et apprend à vouloir ce qui correspond à ce qu'il est, il "apprend à devenir qui il est" selon la formule de Pindare.
Pourquoi disons-nous que c'était la chose la plus difficile ? Parce qu'elle nécessite de s'affranchir du regard d'autrui afin de se voir soi-même sans faux-semblants, sans fausse pudeur ou modestie.
De toutes façons, autrui finit en général par nous voir tel que nous sommes malgré nos efforts pour le cacher par conséquent mieux vaut d’emblée coïncider avec soi-même ce qui nous économisera beaucoup d’énergie.
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