Au fil des années, à travers mes consultations et mes rencontres, j’ai observé un fascinant éventail de personnalités, chacune porteuse de ses aspirations, ses contradictions et ses quêtes singulières. Ces expériences m’ont amené à dessiner ce que j’appelle des profils existentiels : des portraits qui, bien qu’exagérés ou caricaturaux, cherchent à capturer l’essence de certains types d’attitudes face à la vie, au sens et au rapport à soi.
Ces profils ne prétendent pas à l’exactitude scientifique ; ils sont davantage des outils pour comprendre et explorer les façons dont les individus se débattent avec les grandes questions existentielles. Ils révèlent des manières de chercher — ou de fuir — des réponses. En tout, j’ai identifié une vingtaine de ces profils, chacun témoignant d’une manière particulière de se positionner face à l’existence.
Dans le monde professionnel, il y a des managers qui se veulent bienveillants, protecteurs, toujours à l’écoute. Leur but ? Créer un climat de travail harmonieux, où chacun se sent valorisé et à sa place. Le manager "Tout va bien" en est l’incarnation parfaite. Convaincu que le travail en équipe repose avant tout sur la bonne entente, il fait tout pour éviter les conflits, lisser les tensions et promouvoir une atmosphère "familiale".
Mais à force de vouloir préserver cette image d’équipe idéale, il tombe dans une forme d’aveuglement managérial. Refusant de voir les failles de son équipe par peur de l’échec ou du conflit, il réinterprète les défauts des uns et des autres sous un jour positif. Son incapacité à affronter la réalité finit par affaiblir son autorité et par nuire à ceux qu’il voulait justement protéger.
Le refus de voir les défauts
Le Manager "Tout va bien" commence avec une bonne intention : capitaliser sur les forces de ses collaborateurs. Mais à force de ne pas vouloir voir les défauts, il se laisse entraîner dans des rationalisations positives qui deviennent absurdes :
Un collaborateur autoritaire et rigide devient un "leader naturel" qui "structure l’équipe".
Un autre, indécis et pusillanime, est vu comme quelqu’un qui "propose toujours de nouvelles idées"… qu’il ne concrétise jamais.
Une personnalité méfiante et égoïste devient un "fonceur pragmatique" prêt à tout pour optimiser les résultats de son propre service, au détriment des autres.
Ces relectures positives sont plus qu’une simple naïveté : elles traduisent un mécanisme de défense. Admettre qu’un collaborateur est un véritable problème reviendrait à reconnaître une erreur de recrutement, un échec à le recadrer ou, pire encore, une impuissance managériale. Face à cette réalité inconfortable, il préfère voir "le potentiel caché" partout.
La peur paralysante du conflit
Ce manager n’aime pas les critiques frontales. Pour lui, critiquer, c’est blesser. Il est resté marqué par ses expériences passées où les reproches des enseignants "ne visaient que son travail"… mais qu’il vivait comme des attaques personnelles.
Devenu adulte, il applique systématiquement la méthode du "sandwich " : une critique encadrée de deux compliments forcés. Mais cette stratégie tourne souvent au consensus mou :
Lorsqu’un projet ne respecte pas les délais, il se contente de souligner "les efforts accomplis" sans rappeler fermement les objectifs non atteints.
Quand un collaborateur adopte un comportement "toxique" en réunion, il préfère changer de sujet ou déléguer la formation à un prestataire externe, plutôt que d’intervenir directement.
La conséquence ? Une culture de l’évitement, où chacun fait semblant que tout va bien, même lorsque les tensions deviennent ingérables.
Le piège de la "bonne ambiance"
Pour ce manager, la bonne entente est une fin en soi, mais elle reste de façade. Chaque collaborateur connaît les défauts des autres, mais personne n’ose les mentionner, de peur de briser cette "harmonie" superficielle.
Lorsqu’un projet implique plusieurs services, les responsabilités restent floues, car personne ne veut "prendre le pouvoir" ni froisser qui que ce soit. Résultat : des réunions interminables où les vrais problèmes ne sont jamais abordés.
Un exemple classique : une offre à construire pour répondre à un client exigeant. L’équipe peine à se coordonner, les retards s’accumulent, et personne n’ose dire que l’organisation interne est défaillante. Le Manager "tout va bien", lui, voit des efforts collectifs, salue "l’esprit d’équipe", mais ne comprend pas pourquoi le projet est un échec.
La gestion des signaux faibles : une grande naïveté
Le manager "Tout va bien" est souvent déconnecté des tensions sous-jacentes. Il ne voit pas :
Les comportements passifs-agressifs, interprétés comme "des personnalités un peu réservées".
Les démissions surprises, qui le laissent perplexe car "personne ne s’est jamais plaint".
Les burn-out inattendus, vécus comme de simples "fatigues passagères".
Cette cécité ne vient pas d’un manque de bienveillance, mais d’un manque de lucidité. Pour lui, évoluer ne doit jamais être douloureux, seulement agréable et motivant. Il croit que l’épanouissement passe par la formation et les séminaires… sans jamais aborder les véritables problèmes relationnels, souvent plus complexes.
Une ouverture vers la pratique philosophique
Le Manager "tout va bien" illustre le défi de concilier bienveillance et exigence, deux qualités souvent perçues à tort comme opposées. À force de vouloir préserver l’harmonie, il tombe dans un optimisme de façade qui l’empêche de voir les vrais problèmes. Pourtant, écouter sans complaisance et poser des limites claires ne sont pas incompatibles avec le respect et la considération. Bien au contraire : c’est là que réside l’art de bien juger.
C’est précisément ce que propose la pratique philosophique : non pas juger dans le sens de condamner, mais exercer son jugement avec rigueur et lucidité. Elle aide à voir au-delà des interprétations simplistes, à distinguer ce qui relève des faits et ce qui est projeté par nos croyances et nos peurs. En travaillant cette capacité, le manager "Tout va bien" pourrait réconcilier ses valeurs de respect et de bienveillance avec une posture plus affirmée et responsable.
Et vous ? Si vous vous reconnaissez dans ce profil ou si vous en connaissez les travers, pourquoi ne pas explorer cette démarche ? La philosophie pratique ne cherche pas à enfermer dans des catégories, mais à clarifier, questionner et mettre en lumière ce qui pourrait être autrement ignoré.
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